Une critique du film, décembre 2024

(SPOILER ALERT : je dévoile ici quelques péripéties du film.).
Après les enfants des rues, les islamistes kamikazes, les prostituées et les NEETs, voici venu le temps des cheikhates. Le coffret pourra s’appeler « Les Damnés de la Terre ».
Voilà donc l’histoire d’une femme, si forte et si vulnérable, qui veut se réaliser dans son art, et qui refuse sa condition de cheikha déclassée. Sur son difficile chemin se pose le patriarcat hypocrite et violent -ou au moins chelou puisque les hommes sont en général moustachus, saouls et relous- un léger problème d’asynchronie rythmique (ce qui est tout de même surprenant pour une cheikha), et un fils malentendant. D’ailleurs, pourquoi diable est-il sourd, ce gosse ? Serait-ce une requête des bailleurs norvégiens ? Comme pour le viol, voilà un fait posé comme une couche supplémentaire de tragique à une pauvre femme qui voulait juste chanter faux.
Le problème de ce film, comme du précédent d’ailleurs, est qu’il n’a aucun propos. Sa portée artistique se limite à une bonne maitrise de la cinématographie : l’image, l’actrice et la lumière sont belles. L’histoire est une succession de « gênances » plus caricaturales que réalistes, ce qui nuit à son objectif, je crois, initiale : montrer la Aîta au monde et l’émouvoir. Il en reste un cahier de doléances progressistes sur fond épisodique de folklore décontextualisé.
Dès le premier plan, cette voiture roulant dans une immensité naturelle sur un fond musical intense procure une espèce de frisson et soulève des attentes. L’âme ouverte, j’étais prêt à recevoir. Mais j’ai attendu en vain une magie qui ne vint jamais alors que ses éléments constitutifs paraissaient toujours à portée de main.
Comme cette scène du bendir et du violoniste, qui commence et s’achève sur une invraisemblable asynchronie, un rendez-vous qui est comme le rythme : manqué.
Mon hypothèse est que c’est ce qui hérisse, au fond, beaucoup de spectateurs marocains devant les films de Nabil Ayouch, c’est le sentiment que l’on parle de nous comme le ferait étranger -français en l’occurrence- à ses compatriotes, après son retour de « voyage en immersion dans les misères d’ailleurs ».
Je ne parle pas du choix des sujets où des arguments à la con sur l’image du Maroc, je parle de ce regard de gaouri de droite, sympathique, humaniste mais tellement superficiel qu’il en parait presque ignorant, et qui pousse constamment la larme hors de l’œil en restant lui-même froid.
Il y a dans ce film une simultanéité curieuse de clichés et d’invraisemblances, ainsi que d’un sentiment d’absence du lien sentimentale au sujet. On a l’impression qu’il filme la Aïta sans la ressentir, sans l’aimer. Comment pourrait-il alors bien la montrer au monde ? En sortant de ce film, j’ai eu le sentiment que c’est une contrefaçon qui s’en est allé représenter le Maroc au Festival de Cannes et dans le reste du monde.
Entendons-nous bien : être franco-marocain n’est pas du tout le problème. Le problème est qu’il raconte le Maroc comme un Français expatrié qui se ferait passer pour un Marocain. En écrivant cela, il me vient à l’esprit Gad El Maleh qui fait précisément l’inverse : il raconte le Maroc (et le monde) comme un Marocain expatrié que beaucoup d’étrangers prennent pour un Franco-marocain.
C’est ce qui vaut à Gad une sympathie toujours renouvelée, et à Ayouch, une défiance tenace.
Il en vient ceci : je veux bien parier ma takchita que les Marocains (et les Français aussi, d’ailleurs) qui ont aimé ce film sont à peu près les mêmes qui apprécient Kamel Daoud. Cette scène a achevé de m’en convaincre : Touda révise sa Aita, et finit par confondre sa voix avec l’appel de la prière… Je les entendrais presque : « Quelle idée fantastique ! Quel courage ! Il en a des grosses, le Ayouch. Un Voltaire arabe bon sang. Houellebecq, putain ! Les copains du Point vont a-do-ré. »
Bref, on ressort de ce film en se disant que, effectivement, un film sur la Aïta est une excellente idée et qu’il faudrait que quelqu’un en fasse un.
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