Eternel retour au pays

Octobre 2024

Granito de style cicatriciel, de Moqataa Marocaine, circa 2024 

C’est l’histoire d’un homme qui voulait épouser une étrangère, une gaouria.

Le pays de l’étrangère lui demanda ceci :

ses documents d’identité, pour se présenter en bonne et due forme,

– un certificat de résidence, pour lutter contre le nomadisme,

– Un certificat de nationalité, pour s’assurer que son pays est bien le sien,

– Un certificat d’aptitude au mariage, qui est tout aussi exigeant que la lutte gréco-romaine et nécessite donc un avis médical,

– Un certificat de célibat, pour s’assurer qu’il ne fait pas le gros malin,

– Un extrait de casier judiciaire, pour vérifier qu’il n’a jamais fait le gros malin.

Le tout évidemment tamponné, traduit, apostillé.

L’examen est poussé, mais après tout, pour admettre quelqu’un dans la famille, on prend bien quelques précautions. Ce qui va suivre ressemble pourtant à un conte fantastique, absurde et tragique, où notre héros, tout au long d’un long périple, parviendra peut être jusqu’à l’autel, mais alors : aura-t-il toute sa tête ? Sera-t-il toujours apte au mariage à l’issue du processus conçu pour établir officiellement qu’il l’est ?

À l’heure où ces lignes sont écrites (assis dans la salle d’Attente), notre héros s’est rendu :

– 4 fois à la moqataa de son quartier,

– 4 fois au palais de justice,

– 3 ou 4 fois dans un bureau de services électroniques « Khadamat »

– 3 fois à la moqataa attenante au palais de justice,

– 1 fois à la wilaya,

– 1 fois chez un traducteur.

Pour le certificat de résidence (adresse écrite sur la CIN), il a fallu prouver son emploi au moyen d’un certificat de travail de moins de 3 mois.

Pour la nationalité , il a fallu chercher, attendre et comparaître devant un substitut du procureur pour qu’il me reconnaisse, ô ma fierté, Marocain.

En sortant du tribunal avec le certificat de sa marocanité dans une main et l’attestation qu’il était (pourtant ?) innocent dans l’autre, il riait d’un rire Joaquin-Phoenixien.

Pour le certificat de célibat, il ne le donne plus le dit le Moqaddem. Il le donne répond la Wilaya. Le Moqaddem est parti faire le recensement. Le Moqaddem n’est pas là.

Comme il a fallu travailler, attendre, photocopier et revenir lundi pour prouver qu’il était marocain et innocent. Sans doute est-il plus simple, plus économique, plus sain d’être marocain et coupable.

À la litanie des tampons et des photocopies, de l’attente d’un homme, de son apparition certifiante, de sa disparition confondante, de l’éternel retour lundi, ces démarches administratives devinrent pour lui une quête spirituelle. Un cheminement transcendant le long duquel il comprit qu’il fallait beaucoup d’efforts, de patience et de travail sur soi pour prouver au monde qu’il était lui même et qu’il n’avait rien fait de mal, et qu’il habitait là.

Sur le chemin, il prit plaisir à se répéter les incantations magiques des générations de ses compatriotes passés là avant lui, formules pieuses par lequel le pénitent demande au Créateur le pardon des péchés et le retour en lui contre Satan le lapidé. Il en devint presque Issaoui à force de déclamer la litanie qui fait émerger la Hadra, la présence.

Dieu te bénisse, ô Prophète de Dieu

Ah Moulay Touhami, moul souk al 7ami

Ah Sa7ib Al Jallala

Ah Sa3di ou yami

Ô Dieu

Ô Il n’y a de dieux qu’un seul Dieu,

Mon seigneur Dieu qu’il soit glorifié

Que mes maitres me guérissent

Mon cœur est blessé

Ô Dieu !

Ô Dieu notre Seigneur

Moulay Abdellah le chérif

Joie à ceux qui ont fait le pèlerinage

Ô Il n’y a de dieux qu’un seul Dieu,

Mon seigneur Dieu qu’il soit glorifié.

Il avait commencé ses démarches comme jeune cadre dynamique, n’ayant pas un instant à perdre. Il est maintenant un homme mûr, stoïque, avec un début de calvitie précoce, et des problèmes d’absentéisme au bureau. Sa respiration lente ne se surprenait plus de rien, et ses attentes étaient aussi basses que sa tension artérielle. Il avait pris goût à l’attente, et comprit que le travail, la vie, l’agitation, tout cela n’a pas d’importance. Il suffit d’attendre.

Fiha khir.

Hamdoullah.

Et ce n’est pas encore fini. Pas tout à fait la fin, peut être la fin du milieu. Il y a une lumière au bout du tunnel, et on distingue malgré l’éclat, un grand doigt, un majeur pointé vers le ciel, et une voix bienveillante, une voix amie, une voix qui compatit et qui lui demande poliment de revenir lundi.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *